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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Elle traversa la chaussée pour arriver sur le pont…

Gustave la suivait de près.

Une minute après, sur le parapet de pierre une femme tremblante était debout, égarée, les bras étendus vers la rivière !

À cette même minute, Gustave se jetait sur elle, la serrait contre sa poitrine, l’enveloppait d’une immense étreinte, se jurant qu’à tout jamais il était son sauveur et son soutien.

Le choc de la surprise énerva complètement la malheureuse créature : tout son corps frissonna, et elle lutta pour se dégager de cette violente étreinte.

« Let me go ! s’écria-t-elle en anglais. Let me go ! »

Puis, se sentant sans force, elle tourna la tête vers celui qui la tenait.

« Oh ! M. Lenoble ! pourquoi me persécutez-vous ainsi ?… pourquoi m’avez-vous suivie ?…

— Parce que je veux vous sauver.

— Me sauver !… me retenir au moment où j’allais trouver le repos… une fin pour ma triste vie !… Oh ! oui, je sais que c’est une fin coupable, mais ma vie entière a été coupable.

— Coupable toute votre vie !… Folle que vous êtes, je ne croirai jamais cela.

— C’est la vérité ! s’écria-t-elle dans l’angoisse de son remords. J’ai péché par égoïsme, par orgueil, par manque d’obéissance. Il n’y a pas de destinée qui puisse être trop dure pour moi. Oh ! mon sort est bien pénible !… Pourquoi m’avez-vous éloignée de cette rivière ? Vous ne savez pas à quel point ma vie est misérable… vous ne le savez pas. Ce matin, j’ai donné à Mme Magnotte le dernier sou qui me restait. Je n’ai pas d’argent pour retourner en Angleterre, même si j’osais le faire,