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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

pour vous, et tout ce que je vous dis peut vous paraître de l’égarement et de la folie. Mon amour est aussi vrai que le ciel qui nous éclaire, aussi vrai que la vie et la mort, la mort qui était si près de vous tout à l’heure. Je vous ai aimée toujours depuis cette froide matinée de mars, ou je vous ai trouvée assise sous les arbres sans feuilles. Vous vous êtes emparée de moi depuis ce moment. J’ai été subjugué, lié à vous, pour le présent et pour toujours. Je voulais à peine m’avouer à moi-même que mon cœur vous appartenait tout entier ; mais je sais maintenant qu’il en a été ainsi dès le premier jour. Puis-je espérer que mon amour pour vous sera jamais payé de quelque retour.

— Votre amour, répéta lentement l’Anglaise, comme si ces mots eussent dépassé sa compréhension. Vous m’aimez, moi !… un être si perdu, si complètement perdu ! Ah ! vous ne connaissez pas ma malheureuse histoire.

— Je ne demande pas à la connaître. Je ne vous adresse qu’une seule question… Voulez-vous être ma femme ?

— Il faut que vous soyez fou pour offrir votre nom, votre honneur à une créature comme moi.

— Oui, je suis fou… fou d’amour. Et j’attends votre réponse. Vous serez ma femme ? Mon ange, vous direz oui ? Ce n’est pas beaucoup ce que je vous offre… une vie d’incertitudes, peut-être même de pauvreté ; mais un cœur tendre et constant, une tête et des mains qui travailleront pour vous aussi longtemps que Dieu leur en donnera la force… cela vaut encore mieux que la rivière où vous alliez vous jeter. »

Tout ce qu’il y a d’imprévoyance et d’espérance dans la nature fut exprimé en ces quelques mots.