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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

La femme à laquelle il les adressait était affaiblie par le chagrin ; le dévouement de ce brave cœur lui rendait la force, le courage, presque l’espoir.

« Voulez-vous être mon ami ? dit-elle doucement, vos paroles semblent me rendre la vie. Je voulais mourir parce que j’étais si misérable, si abandonnée ; j’ai des amis en Angleterre, des amis qui étaient autrefois pour moi tout ce qu’il y a de plus cher et de meilleur ; mais je n’ose pas aller vers eux. Je crois qu’un regard malveillant de l’un d’eux me tuerait. Et je n’ai pas le droit d’attendre d’eux des regards bienveillants. Vos paroles d’amitié sont les seules que j’aie entendues depuis bien longtemps.

— Et vous me donnerez le droit de travailler pour vous… de vous protéger… vous serez ma femme ?

— Je serai plutôt votre servante, répondit-elle avec une triste humilité. Quel droit ai-je d’accepter de vous un aussi grand sacrifice ? Quelle folie peut être plus grande que d’avoir de l’amour pour moi… si c’est réellement de l’amour et non un caprice du moment ?

— C’est un caprice qui durera autant que ma vie.

— Ah ! vous ne savez pas combien de pareils caprices peuvent changer.

— Je ne sais rien, si ce n’est que le mien sera invariable. Venez, mon amie, il est tard et il fait froid. Laissez-moi vous ramener à la maison. La portière sera étonnée ; Il faudra passer tranquillement devant elle avec votre voile baissé. Avez-vous donné votre clef à la vieille Margot, lorsque vous êtes descendue ce soir ?

— Non, elle est dans ma poche. Je n’y ai pas pensé… je… »

Elle s’arrêta en frissonnant tout à coup.

Gustave comprit ce frisson ; lui aussi il frémit.