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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Elle avait quitté sa chambre ce soir, poussée par la folie du suicide. Elle l’avait quittée pour aller droit à la mort. Heureusement son vigoureux bras était venu se placer entre elle et cette tombe, auprès de laquelle ils étaient encore.

Ils retournèrent lentement à la rue Madame, à la clarté de la lune qui venait de se lever.

La faible main de l’Anglaise reposait pour la première fois sur le bras de Lenoble : elle était à lui, à lui par une intervention, par un décret de la Providence !

Cela devint une conviction dans l’esprit du jeune homme.

Il fit passer leur rentrée tardive à la maison avec une adresse diplomatique, en engageant une conversation avec la portière, pendant que la dame franchissait le couloir, éclairé par la petite lampe.

« Vous viendrez demain matin vous promener avec moi dans le jardin du Luxembourg, ma chérie, dit-il. J’ai tant de choses à vous dire… tant de choses… jusque-là, adieu !… »

Il lui baisa la main et la laissa au seuil de sa porte, après quoi il se retira lui-même dans sa modeste chambre d’étudiant, en fredonnant de sa voix mâle une jolie petite chanson à boire, un peu grivoise, mais gaie comme tout.

Le lendemain ils se retrouvèrent au Luxembourg.

La pauvre créature que Gustave avait sauvée semblait déjà le considérer comme un ami et un protecteur, sinon comme un fiancé.

Gustave avait vraiment pris possession d’elle : sa forte nature avait subjugué sa nature faible.

Seule au monde, complètement dénuée de tout, sans argent, sans personne pour lui venir en aide, jetée