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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

comme un grain de poussière dans un pays étranger, il était simple que Susan Meynell acceptât un amour qui lui offrait tout à la fois un secours et un refuge.

« Laissez-moi vous dire ma misérable histoire, dit-elle d’une voix suppliante à son amant pendant qu’elle marchait à son bras sous les marronniers. Laissez-moi vous dire tout. Quand vous saurez la malheureuse créature que je suis, si vous désirez encore me donner votre cœur, votre nom, je me soumettrai. Je ne parlerai pas de reconnaissance. Si vous pouviez sentir à quel point je me sentais avilie hier au soir lorsque je suis allée à la rivière, vous sauriez combien je dois apprécier votre bonté ; mais vous ne pourrez jamais savoir ce que vous êtes pour moi. »

Puis, d’une voix basse, honteuse, hésitante, elle lui dit son histoire,

« Mon père était un marchand de la Cité, à Londres, dit-elle. Sa position était très-bonne et j’aurais pu être heureuse dans notre intérieur… Ah ! comme une pareille demeure me paraît enviable aujourd’hui ! mais j’étais paresseuse, légère, inquiète. Notre existence dans la Cité m’ennuyait, je la jugeais triste, monotone. Quand je regarde en arrière, quand je me rappelle combien peu j’ai su reconnaître l’affection que l’on avait pour moi !… les anxiétés de ma mère, la bonté constante et calme de mon père, je sens que j’ai mérité les chagrins qui m’ont accablée depuis. »

Elle s’arrêta un instant, mais Gustave ne l’interrompit pas, il était trop intéressé par son récit pour pouvoir dire de ces mots banals dont on fait usage en ces occasions. Il écoutait l’histoire de la jeunesse de sa femme future. Qu’il pût y avoir dans cette histoire des choses capables de l’empêcher de la prendre pour