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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

vamment à l’un des vieux clubs, fumer de bons cigares, et rester chez lui.

Il était par nature flâneur, phraseur, chercheur de plaisirs aristocratiques ; il n’était pas seulement incapable de penser d’une façon un peu haute, mais il ne croyait pas même aux pensées élevées et se souciait des principes comme de Colin-Tampon.

Il mesurait l’univers à l’aune étroite de sa propre petitesse.

Pour lui, César n’était qu’un brigand impérial, Cicéron un agitateur hypocrite.

Pour lui, tous les grands guerriers n’étaient que des ambitieux avides, tous les hommes en place d’heureux parvenus, tous les réformateurs des gens qui ne songeaient qu’à eux-mêmes.

Non que Paget eût désiré qu’il en fût autrement : dans sa république idéale, la générosité, le désintéressement lui eussent paru plus nuisibles qu’utiles.

Devant les vices de ses concitoyens, le diplomatique Horatio était très-fort, mais un adversaire inattendu, à la vertu intraitable, n’eût pas tardé à le faire échec et mat sur l’échiquier de la vie.

La nécessité de pourvoir aux besoins de son existence avait été la considération dominante de sa vie depuis le temps où il avait joui d’une popularité subalterne dans un régiment d’élite, où il était admiré pour l’aisance de ses manières, sa bonne tournure ; respecté par ses inférieurs à cause de sa naissance ; pourvu de tout, excepté de cette vile poussière sans laquelle la vie des quartiers de l’Ouest de Londres est une illusion.

Le flibustier de la civilisation, l’homme réduit à vivre des ressources de son imagination, est sujet à d’étranges fluctuations de prospérité et d’adversité. C’est le mineur,