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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

secret ce jeune homme avant qu’il n’ait les moyens de pourvoir aux besoins d’un ménage, se dit-elle à elle-même, en réfléchissant sur le sens des recommandations de son maître, et c’est très-possible. On ne sait pas ce dont sont capables les jeunes filles de ce temps-ci, et plus une jeune femme est innocente et sans expérience, et plus il faut la surveiller. Mlle Georgina Craddock a toujours été une pauvre folle, bonne à rien qu’à s’habiller et à se promener dans la grande rue de Barlingford avec ses anciennes camarades de classe. Une pareille femme n’est pas de celles auxquelles il faut se fier pour veiller sur une jeune fille, M. Sheldon le sait bien. Il a toujours été très-profond. Mais je suis heureuse qu’il ait souci de la jeune demoiselle ; il y a tant de gens qui, lorsqu’ils ont encaissé l’argent du père, laissent sa fille épouser le premier venu, pour en être débarrassés. »

C’est ainsi que Mme Woolper envisageait l’affaire : elle descendait d’une race prudente, et la prudence chez les autres lui semblait toujours une vertu recommandable ; elle avait le désir d’avoir bonne opinion de son maître, qui avait été une providence pour elle à l’heure du malheur et de la vieillesse.

À qui pouvait-elle s’adresser, si ce n’est à lui ? Le soupçonner ou avoir mauvaise opinion de lui, c’était répudier le seul refuge qui lui était offert dans sa détresse.

Une superbe indépendance d’esprit n’est pas une vertu facile pour le vieillard pauvre et sans famille.

Le misérable naufragé ne s’occupe guère de la solidité de la planche qui le soutient sur les flots irrités et Mme Woolper n’était pas disposée à examiner de trop près les motifs de l’homme auquel elle était redevable de son pain quotidien.