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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

tes, étaient une joie pour Nancy. Elle aurait retenu la jeune fille des heures au lieu de minutes, si elle avait trouvé une excuse pour le faire.

Il n’y avait du reste aucune trahison contre Sheldon dans l’attachement toujours croissant qu’elle ressentait pour sa belle-fille ; jamais Nancy ne parlait de son maître et de son bienfaiteur qu’avec la plus franche et la plus reconnaissante affection.

« J’ai donné mes soins à votre beau-père, mademoiselle Halliday, quand il n’était qu’un baby, lui disait-elle souvent. Vous ne voudriez pas croire, à le voir maintenant, qu’il a pu être jamais un baby, n’est-ce pas ? Mais c’était bien le plus bel enfant qu’on pût voir, grand, fort, et avec des yeux qui vous transperçaient, tant ils étaient grands et noirs. Il a été un peu méchant quand il faisait ses dents ; mais quel est l’enfant qui n’est pas méchant à cette époque terrible de la dentition ? Il m’a donné bien du mal, je puis le dire, mademoiselle, quand il fallait le promener toute la nuit et le secouer dans mes bras, jusqu’à ce que je n’en aie plus la force, accablée que j’étais par le besoin de dormir. Je me demande souvent s’il se rappelle de cela maintenant, quand je le vois si grave et si sérieux. Mais, voyez-vous, l’action d’être bercé dans les bras d’une nourrice ne doit pas rester dans l’esprit de l’enfant comme l’action de bercer l’enfant reste dans l’esprit de la nourrice ; et, quoique je me rappelle toutes ces choses comme si elles étaient d’hier, et la pièce où je couchais à Barlingford, et la lumière pour la nuit enfermée dans une grande cage de fer posée sur le plancher, et l’ombre des barreaux de la cage se dessinant sur les murs blanchis à la chaux ; je suis bien sûre que tout cela est sorti de sa mémoire depuis longtemps.