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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

confiance dans les préparations sortant de l’officine du pharmacien.

Pendant quelque temps Nancy traita légèrement les indispositions de la jeune fille, tout en l’observant avec une constante attention.

« Votre croissance n’est pas encore complète, mademoiselle, je le gagerais, dit-elle.

— Mais j’ai plus de vingt et un ans, Nancy. Est-ce qu’on grandit encore quand on a passé sa majorité ?

— J’en ai vu des exemples, mademoiselle, je ne prétends pas qu’ils soient communs, mais cela s’est vu, et alors après la croissance il y a toujours faiblesse. Les jeunes filles de votre âge sont susceptibles d’être faibles et un peu languissantes, surtout quand elles vivent dans une ville enfumée comme l’est la ville de Londres. Vous devriez aller à Hiley, mademoiselle, le pays où vous êtes née ; voilà ce qu’il vous faut. »

Le temps était venu où le changement qui s’opérait en elle ne pouvait plus faire l’objet d’un doute.

De jour en jour Charlotte devenait plus maigre et plus pâle ; de jour en jour cette brillante et joyeuse créature, dont la présence créait une atmosphère de jeunesse et de joie dans cette sombre maison, s’assombrissait de plus en plus et ne semblait plus que l’ombre de ce qu’elle avait été.

Nancy observait ce changement avec une douleur étrange, si vive et si cruelle que l’amertume de la peine qu’elle ressentait la livrait à une perplexité d’esprit perpétuelle.

« Si cette pauvre chère jeune personne doit quitter ce monde, pourquoi me tourmenter à son sujet tout le long du jour, pourquoi me réveiller la nuit avec une sueur froide en pensant à elle ? Je ne la connais pas depuis