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LA TRACE

gin, qui était bien le parfum caractéristique du batelier ; mais quant à la personne du batelier, elle n’y était pas.

M. Darley marcha vers la croisée, et jeta les yeux en dehors sur la rivière :

« Une vue réjouissante, disiez-vous, Hébé en savates ? Est-ce chose réjouissante que de considérer cette eau triste et bourbeuse, en se rappelant combien de têtes malheureuses ont été englouties par ce courant ; combien de nombreuses créatures épuisées se sont couchées dans son lit, pour trouver dans la mort le repos qu’elles n’avaient pu obtenir dans la vie ; combien d’âmes égarées ont trouvé dans ces eaux noires une route pour l’autre monde, et sont parties le cœur endurci du rivage du temps pour l’océan de l’éternité ; combien de chevelures dorées ont été prises dans le filet du pêcheur, et combien de Mary, moins heureuses, étant moins innocentes que l’héroïne du chant mélodieux de M. Kingsley, ont disparu, pour ne jamais, jamais revenir ! »

M. Darley pense peut-être à tout cela, car il tourne le dos à la croisée, crie à la servante de venir allumer du feu, et procède à l’opération de bourrer sa pipe, ce grand consolateur de l’homme.

Je m’étonne extrêmement, aimables lectrices, que vous n’ayez jamais songé d’une manière ou d’autre à chercher querelle aux mânes du vaillant, du che-