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DU SERPENT.

notre indisposition se dessine ; nous avons l’esprit tranquille aussi, n’est-ce pas ? Nous ne nous tourmentons pas de Moscou, et ne nous rendons pas malheureux pour Waterloo, je l’espère ? »

Le docteur de l’asile était un charmant homme, réjoui et bon vivant, qui s’accommodait des fantaisies de ses malades, toutes bizarres qu’elles pussent être, et quoique la moitié des rois de l’histoire d’Angleterre fussent représentés dans l’établissement, il passait pour ne jamais oublier le respect dû à un monarque, quelque familier que pût être celui-ci. Aussi était-il généralement aimé, et avait-il reçu plusieurs ordres du Bain et de la Jarretière, sous la forme de chiffons rouges et de morceaux de papiers, et des titres nombreux expédiés au moyen de vieux papiers roulés et de lambeaux de journal, qui eussent pu lui servir à s’établir magnifiquement, s’il eût eu seulement quelques bouteilles et une poupée noire pour enseigne. Il savait que la folie de Richard consistait à se croire l’aigle enchaîné du rocher battu par la mer, et pensait lui faire plaisir en se prêtant à son hallucination.

Richard le regarda avec un air plein de tristesse.

« Je ne pense plus à Moscou, monsieur, dit-il d’une voix grave : les éléments m’ont vaincu, et ils furent plus forts qu’Annibal ; mais à Waterloo, ce qui a brisé mon cœur, a été non la défaite, mais la disgrâce. »