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DU SERPENT.

voir y réussir, d’échapper aux nombreux avantages de leur demeure.

Je n’oserais me hasarder à dire si la végétation avait ou non quelque mystérieuse sympathie avec la nature animée, mais il est certain que ni fleurs, ni arbustes, ni gazon, ni herbes sauvages ne poussaient comme les autres fleurs, les autres arbustes, l’autre gazon ou les autres herbes sauvages, dans les terrains de l’asile des fous du comté. Depuis l’ormeau décharné qui étendait deux grands bras raboteux, comme s’il eût poussé une sauvage imprécation, semblable à celle qui eût pu sortir de la bouche d’un être humain victime de la pire forme de folie, jusqu’au banal mouron poussant dans un coin de l’allée sablée, qui avait des racines, des feuilles et des fibres, ne ressemblant en rien à celles de son espèce, et s’échappait de sa tangente particulière, avec une fantaisie de petit chat joueur, dont aurait pu être affligée une jeune miss de dix-sept ans malade d’amour ; depuis les grands buissons de laurier, qui se balançaient au vent avec une agitation mélancolique et incessante, propre aux seuls aliénés, jusqu’à l’excentrique pissenlit, qui dressait sa tête ébouriffée au-dessus du gazon échevelé et tourmenté ; toute chose verte dans ce vaste lieu semblait être plus ou moins atteinte par la terrible maladie, dont l’influence ou les émanations sont d’une nature si subtile, qu’elles infectent même les pierres