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LE SECRET

chambre de sir Michaël. Le baronnet reposait d’un sommeil calme, son bras étendu sur le lit et sa vigoureuse main serrée par les doigts délicats de sa jeune femme. Alicia était assise sur une chaise basse auprès de la large ouverture du foyer, dans lequel des bûches énormes brûlaient avec furie par cette température glacée. L’intérieur de cette luxueuse chambre à coucher eût pu fournir un sujet saisissant pour le pinceau d’un artiste. L’ameublement massif, de couleur sombre et sévère, dont l’austérité était rompue et relevée çà et là par des ornements dorés et des masses de couleur éclatante ; l’élégance de chaque détail, dans lequel la richesse était assujettie à la pureté du goût ; et enfin, point le plus important, les gracieuses figures des deux femmes et la noble tête du vieillard eussent formé une étude digne d’un peintre.

Lucy Audley, la chevelure en désordre, jetée comme une pâle vapeur d’or jaune autour de son visage rêveur, les lignes flottantes de sa robe de chambre en mousseline légère, tombant en plis droits jusqu’à ses pieds, et serrées à la taille par une étroite ceinture d’anneaux en agate, eût pu servir de modèle pour une sainte du moyen âge d’une de ces petites chapelles cachées à l’écart dans les enfoncements et les coins d’une vieille cathédrale grise, épargnée par la Réforme ou par Cromwell ; et quel saint martyr du moyen âge eût pu offrir un aspect plus vénérable que l’homme dont la barbe grise reposait sur la sombre couverture de soie de ce lit somptueux ?

Robert s’arrêta sur le seuil, craignant d’éveiller son oncle. Les deux femmes avaient entendu son pas, quoiqu’il eût été plein de précaution, et levèrent la tête pour le regarder. La figure de milady veillant le vieillard malade, portait l’expression d’une ardeur inquiète qui la rendait plus belle ; mais la même figure, en reconnaissant Robert Audley, perdit de sa beauté écla-