Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
DE LADY AUDLEY

quelque argent de temps en temps, et je fais de mon mieux pour vivre. Je puis donc vous dire où elle demeure. N’est-ce pas, vous ne m’avez pas trompée ?

— Sur mon honneur, non.

— Eh bien, monsieur, reprit la couturière baissant la voix comme si elle craignait que le pavé ou les barreaux des grilles en fer du devant des maisons ne l’entendissent, c’est à Acacia Cottage, Peckham Grove. J’y ai porté hier une robe pour mistress Vincent.

— Merci, dit Robert écrivant l’adresse sur son portefeuille. Je vous suis très-obligé, et vous pouvez compter sur ma parole : mistress Vincent ne sera pas tourmentée à cause de moi. »

Il souleva son chapeau, salua la petite couturière, et retourna vers la voiture.

« J’ai battu le boulanger quand même, se dit-il. En route maintenant pour la deuxième étape de mon voyage d’exploration dans la vie de milady. »

De Brompton à Peckham Road la distance est considérable, et Robert Audley eut le temps de réfléchir entre Crescent Villas et Acacia Cottage. Il songea à son oncle malade et affaibli dans sa chambre à coucher d’Audley. Il songea aux beaux yeux bleus qui veillaient sur le sommeil de sir Michaël, aux douces mains blanches qui le servaient quand il s’éveillait, à la voix musicale et enchanteresse qui charmait sa solitude et égayait sa vieillesse. Quel ravissant tableau c’eût été pour lui, s’il avait pu le contempler comme tout le monde, sans y voir autre chose que ce qu’y voyaient les étrangers ! Mais le nuage noir qu’il apercevait ou qu’il croyait apercevoir s’étendait sur tout, et faisait de cette scène d’intérieur une moquerie diabolique, un tableau infernal.

Peckham Grove — très-agréable en été — offre un aspect assez triste par une sombre journée de février, alors que les arbres sont privés de leurs feuilles