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LES OISEAUX DE PROIE

fixent pas sur moi avec tant d’étonnement. Vous me haïrez peut-être lorsque vous saurez tout. Non… non… non… vous ne me haïrez pas…, vous aurez pitié de moi et vous me pardonnerez. Je l’aimais, chère ; il était mon compagnon, mon seul ami, et il fut un temps…, il y a bien longtemps de cela…, avant qu’il vous eût jamais vue, où je m’imaginais qu’il faisait attention à moi et qu’un jour il m’aimerait…, comme je l’aimais… sans nous le dire, sans nous en apercevoir. Charlotte vous ne saurez jamais ce que j’ai souffert. Il n’est pas dans votre nature de comprendre ce qu’une femme comme moi peut souffrir. Je l’aimais si tendrement ! Je me suis attachée méchamment, follement, à mes espérances, à mes rêves ; alors que ces espérances étaient devenues les plus fausses, ces rêves les plus insensés qui aient jamais pu s’emparer d’une imagination. Mais, ma chérie, tout cela est passé ; et je viens à vous, dans cette nuit de Noël, pour vous dire que j’ai dompté mon cœur rebelle, qu’il n’y aura plus, désormais, aucun nuage entre vous et moi.

— Diana, ma chère amie… ma pauvre fille !… s’écria Charlotte tout à fait hors d’elle-même ; vous l’aimiez comme moi… et je vous ai pris son cœur ?

— Non, Charlotte, il ne m’a jamais appartenu.

— Vous l’aimiez, lorsque vous parliez si durement de lui !

— C’est alors que je m’exprimais le plus durement que je l’aimais le plus. Mais ne me regardez pas si tristement. Je vous répète que ma plus grande douleur est passée, qu’elle n’existe plus ; ce qui en reste est facile à surmonter ou à supporter. Ces sentiments ne sont pas éternels, Charlotte, quoi qu’en puissent dire les poètes et les romanciers. Si je ne m’étais pas rendue maîtresse