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adolphe brassard

Une large portion de notre secteur s’étend à nos pieds. On lance des fusées éclairantes ; on vide les cartouchières.

Et tout à coup, peut-être d’un coin où se consume la rage du vaincu ; peut-être de nos lignes en signe de réjouissance ; peut-être de là où demeure le destin, part un coup de canon. Au sifflement caractéristique, je me rends compte que l’obus vient sur nous. Ah ! pourquoi ? Pourquoi ?… Je n’ai pas le temps de parer, de nous couvrir ; il éclate à vingt pas. Dans un halo strié de pierres et de feu, je vois disparaître l’adolescent. Je me lève. Suis-je blessé ? Est-ce que ça compte ? Mais lui, lui, l’adolescent ivre de vie ! En bas, dans le secteur, saoul de joie, on a eu un geste moqueur vers l’obus qui vient de tomber sûrement dans un endroit désert. Personne ne vient à notre secours.

Je cherche, en suppliant le ciel d’accomplir, pour celui que j’avais juré de sauver, un miracle aussi grand que celui qui vient de mettre fin à la guerre.