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LA VIE DE FAMILLE

me borne à ses parties les plus essentielles. Dimanche matin, je suis allée avec mes amis à l’église : — elle est jolie ; des vitraux de couleur y répandent un jour tant soit peu sombre ; on a peur ici du soleil. — Le prédicateur était un unitaire de la plus pauvre espèce. Nous allâmes le soir à New-York pour entendre Channing. Il y a toujours une telle foule, un tel mouvement sur l’autre bord « d’East river, » que je me crois obligée de combattre pour conserver la vie et les membres ; il paraît cependant que les accidents y sont très-rares. Je me réjouissais beaucoup d’entendre Channing, dont on m’avait fait l’éloge comme improvisateur. La salle où la leçon devait avoir lieu pouvait contenir environ cinq cents personnes ; elle était complétement pleine et construite en amphithéâtre formant un demi-cercle ovale. Channing entra et commença par se recueillir dans la prière, debout et tourné vers ses auditeurs. Puis il parla, mais — les yeux baissés, d’une manière molle et presque inanimée. Le sujet sur lequel il invitait ses auditeurs à réfléchir avec lui était « la société des saints ; » il y fit plusieurs belles allusions, mais tellement dépourvues d’ensemble, de profondeur, de développement, de vie, de chaleur, que j’en fus excessivement étonnée. « Est-ce là, pensai-je, l’éloquence américaine, est-ce là l’orateur spirituel qu’on m’a tant vanté ? D’où proviennent ces yeux baissés, cette immobilité ? » J’entendis alors Rebecca chuchoter à son mari : « Qu’a donc Channing ? il doit être malade, ce n’est pas lui. » Je fus consolée en apprenant que Channing n’était pas dans son état ordinaire. L’inspiration que j’avais si souvent remarquée en lui avait disparu. Il s’arrêta une couple de fois en cherchant, mais en vain, à réunir ses idées : c’était chose pénible de le voir. Enfin Channing interrompit la leçon, et, avec une rougeur trans-