Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
LA VIE DE FAMILLE

femme, et au fond de cette famille est une histoire d’amour romantique, belle et noble, comme — il arrive souvent de n’en pas rencontrer dans les romans écrits.

J’ai bien dormi, et me suis éveillée en voyant une lueur rouge clair pénétrer à travers les jalousies. Craignant un incendie, je me suis levée ; mais c’était l’aurore qui embrasait le ciel, les vertes collines, la rivière unie comme un miroir et les voiles des navires paisiblement endormies. C’était un spectacle magnifique ! Cette aurore, qui embrasse et glorifie toutes choses vivantes et mortes, ranima aussi mon âme et mon esprit. Des scènes et des visions de ce genre ne peuvent être célébrées que par les chants d’actions de grâces de David :

« Chantez au Seigneur un nouveau cantique ! Chantez le Seigneur de l’univers ! »

Ce beau moment passa, et je descendis pour déjeuner. Alors recommença la torture du jour avec sa vie de société intérieure et extérieure, ces questions éternelles qui ne me laissaient pas un instant de repos et troublaient le plaisir que cette belle contrée faisait poindre en moi. Quelques jeunes et jolies personnes me désespérèrent surtout par leurs : « Mademoiselle Bremer, avez-vous vu le télégraphe, là-bas, sur l’autre bord de la rivière ? Mademoiselle Bremer, avez-vous vu les wagons du chemin de fer là-bas ? Mademoiselle Bremer, avez-vous remarqué les beaux arbres du rivage ? Mademoiselle Bremer, y a-t-il rien de semblable en Suède ? » Écouter de pareilles questions et y répondre deux ou trois fois, c’est déjà beaucoup ; mais lorsqu’elles se répètent six à sept, et qu’on n’en voit pas la fin !… Complétement malheureuse, je finis par dire à madame Laurence qu’il m’était impossible d’être en société dès le matin, que j’avais besoin de solitude durant cette