Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
DANS LE NOUVEAU-MONDE.

ancienne ville du Massachusett et le domicile de Waldo Émerson. Nous sommes partis et arrivés avec un veritable ouragan de neige ; mais les wagons sont bien chauffés, on y jouit du meilleur confort, tout en étant parfois bien secoués, car les chemins de fer d’ici sont beaucoup plus raboteux ou inégaux que ceux sur lesquels j’ai voyagé en Europe. Émerson est venu au-devant de nous par l’allée de sapins en face de sa maison ; il était tête nue malgré la neige épaisse qui tombait. C’est une figure calme, noble, sérieuse, teint pâle, traits et lignes fortement marqués, cheveux foncés. Il m’a paru plus jeune que je ne l’avais supposé, et son extérieur moins fascinant mais plus significatif. Il s’occupa de nous et surtout de moi, en ma qualité de femme et d’étrangère, d’une manière humaine et agréable.

Émerson est une individualité toute particulière, trop froide et trop hyperbolique cependant pour m’attirer : son œil puissant et limpide, toujours à la recherche d’un idéal qu’il ne trouve pas sur la terre, découvrant en tout des défauts, des imperfections, et rien de complet, est trop fort, trop d’une pièce, pour comprendre les faiblesses et les souffrances des autres ; car il méprise aussi la souffrance comme une faiblesse indigne des âmes élevées. Ces espèces singulières de natures humaines paraissent n’avoir jamais connu la maladie. Émerson a eu des chagrins et les a sentis profondément, dit-on (quelques-uns de ses plus beaux poëmes en rendent témoignage) ; mais il n’a plié sous leur poids que durant un instant fort court ; il s’agissait de la mort de deux de ses frères, beaux et chéris, et d’un joli petit garçon, son fils ainé. Il a aussi perdu sa première femme après une année de mariage, a trois enfants de la seconde, et paraît surtout aimer le plus