Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
DANS LE NOUVEAU-MONDE.

Je me porte parfaitement, malgré toutes mes fatigues, et me propose, durant mon séjour à Boston, de m’arranger de manière à être plus tranquille. Je recevrai un jour ou deux par semaine, et ferai en sorte de vivre un peu pour moi ; j’en ai besoin.

P. S. Je te dirai encore au sujet d’Émerson que je ne suis pas sûre de l’avoir bien jugé. J’avoue que j’ai été un peu blessée de la manière dédaigneuse, — c’est le fait de sa personne plutôt que de ses paroles, — avec laquelle il s’est exprimé relativement à des choses, à des personnes que j’admire. Peut-être que cette fermeté, cette sorte de grandeur à laquelle je ne suis pas accoutumée, m’aura fait recommencer l’histoire du renard et des raisins. C’est une chose positive, la personne et la manière d’Émerson ont produit sur moi un effet tout opposé à celui des autres natures hautaines qu’il m’a été facile de juger, et dont j’ai fait peu de cas à raison de cette hauteur. Il n’en est pas de même pour Émerson, on ne s’en débarrasserait pas aussi facilement, je crois. Il peut être injuste, déraisonnable, mais ce n’est point assurément par égoïsme. Un esprit élevé habite en cet homme. Je veux le voir davantage et apprendre à le mieux connaître.

N’importe ce qu’il adviendra de cette connaissance, je resterai calme. « Si nous sommes parents, nous nous rencontrerons. » Sinon… il n’est plus le temps où je désirais ardemment de plaire. J’ai erré dans le désert de la vie, et c’est avec beaucoup d’efforts que j’ai gravi l’Horeb d’où j’ai vu la terra promise. Cette longue douleur, cette grande joie, ont fait pâlir pour toujours à mes yeux les figures magnifiques, les couronnes, les lauriers, les roses de la terre ; ils peuvent encore me fasciner, m’éblouir un instant ; mais cela passe vite. Ce qu’ils donnent ne me rend pas