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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

port de la taille, — Garrisson, l’un des principaux lutteurs dans les rangs des abolitionnistes. C’est en cette qualité que dans une émeute il a été traîné par la populace dans les rues de — Boston, je crois, le carcan au cou comme un scélérat. Sur son beau visage et dans ses yeux d’aigle limpides on voit l’esprit courageux qui fait les martyrs. En causant avec lui, j’ai dit franchement que l’exagération des abolitionnistes, leur défaut d’équité, le ton violent de leurs attaques ne pouvaient servir leur cause, lui nuisaient au contraire. Il m’a répondu avec bonhomie : « Quand on veut la moitié d’un pain, il faut en demander un entier ! » Garrisson parle avec douceur des propriétaires d’esclaves du Sud, en estime plusieurs personnellement ; mais il a combattu et il combattra l’esclavage comme l’un des plus grands ennemis de l’Amérique. L’homme qui reste aussi ferme qu’auparavant dans ses convictions, après avoir subi les mauvais traitements de la populace, après avoir été un objet de dérision, cet homme mérite l’estime.

Ces messieurs nous amenèrent deux esclaves qui venaient de fuir, William et Ellen Kraft. La femme était presque blanche, son visage un peu jaune pâle avait le trait caractéristique de notre race ; elle n’était pas jolie, mais paraissait fort intelligente. William était complétement nègre et remarquablement bien. Tous deux s’étaient échappés, elle déguisée en homme et lui jouant le rôle de son domestique. Ne sachant pas écrire et afin d’éviter la formalité d’inscrire son nom sur les registres, Ellen avait porté son bras en écharpe sous prétexte d’une blessure. Ils étaient arrivés heureusement par le chemin de fer, du sud au nord, dans les États libres, et paraissaient au comble du bonheur. Je demandai à la femme : « Pourquoi vous êtes-vous enfuie de chez vos maîtres ?