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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

moins noble qu’on puisse imaginer. Malheureusement elle est plus indigène qu’il ne le faudrait dans le Nouveau-Monde ; on s’en aperçoit à cette manière habituelle de s’exprimer en parlant d’une personne : « Il vaut tant ou tant de dollars ! » Mais les meilleurs dédaignent de pareilles expressions ; elles ne saliront jamais les lèvres d’un Marcus Spring, d’un Channing ou d’un Downing. Quant à la vie fashionable, il est à remarquer qu’elle n’est point considérée ici comme ce qu’il y a de plus élevé. On entend citer des gens en ajoutant qu’ils sont au-dessus de la fashion, ce qui veut dire de la plus haute classe. Il est clair pour moi qu’on forme insensiblement ici une aristocratie bien au-dessus de celle de naissance, de fortune, de relations de société : l’aristocratie du mérite, de l’amabilité et du caractère. Cependant elle n’est pas encore générale, ce n’est qu’une bande peu nombreuse ; mais elle grandit et son idée aussi.

Je me suis trouvée à un petit et agréable dîner chez le professeur Howe, avec Laura Bridgeman, la jeune fille aveugle et sourde-muette, devenue célèbre par la manière dont le professeur Howe a éveillé son âme pensante, et la narration pleine d’intérêt que l’on trouve à son sujet dans les Notes sur l’Amérique, par Charles Dickens. Elle a maintenant vingt-ans, est bien faite, frêle de sa personne, a une figure que l’on peut appeler jolie. Laura porte un bandeau vert sur les yeux. Quand elle eut touché ma main, elle fit connaître par signes qu’elle me prenait pour un enfant. L’une de ses premières questions fut : « Combien d’argent vous donne-t-on pour vos livres ? » Véritable question de Yankee, qui amusa beaucoup mes hôtes ; ils s’opposèrent cependant à ce qu’elle fût renouvelée. Je demandai à Laura, par l’intermédiaire de la femme qui l’ac-