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LA VIE DE FAMILLE

il ne m’est jamais arrivé de rencontrer un lion sous forme humaine, sans que mon cœur de lion n’en soit ému. Un combat avec un pareil esprit est une jouissance, lors même qu’on serait vaincu.

Quant à Alcott, je ne sais quel esprit de contradiction m’irrite sans cesse contre lui et me pousse à m’en amuser ; cependant j’estime le beau et bon but que cet idéaliste se propose. Quand j’ai dit quelque chose contre lui, il me semble entendre la profonde voix d’Émerson m’adresser ce reproche : « Vous ne voulez pas supporter une ou deux voix solitaires parlant en faveur de pensées et de principes non vendables ni passagers. » Oh ! oui, si seulement elles étaient un peu plus raisonnables !

L’autre soir, j’ai assisté à une grande réunion de gens fashionnables de Boston chez madame Bryant. Je me portais bien ; la compagnie était belle, élégante, très-polie ; elle me plaisait. Une autrefois, je suis allée ailleurs dans une réunion du même genre. Comme je me portais mal, la compagnie me parut plus jolie et aristocratique qu’agréable. J’ai vu aussi une couple de figures que je n’aurais pas cru devoir rencontrer dans les salons du Nouveau-Monde et encore moins parmi les femmes de la Nouvelle-Angleterre, tant elles étaient boursouflées, hautaines et laides.—On lisait dans leurs regards et leur personne la suffisance de l’argent. Madame ….. et sa sœur ont passé un an à Paris. Elles auraient dû rapporter, en outre des modes, un peu de la grâce et du savoir-vivre de cette capitale. Les gens fiers de leurs richesses sont au point de civilisation de nos Lapons, qui, eux aussi, ne connaissent rien au-dessus de la fortune, et mesurent le mérite d’un homme au nombre de ses rennes. Quiconque en possède mille est un très-grand homme. L’aristocratie de l’argent est la