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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

rieur des Appleton est l’un des plus jolis que j’ai vus à Boston ; le mari est invalide, mais de l’humeur la plus enjouée : la femme, saine de corps et d’âme, est fort aimable. Ajoute ici M. et madame Longfellow, et tu verras que ce fut un petit et charmant dîner.

En rentrant, je trouvai mon appartement plein de monde. C’était mon jour de réception, et j’avais un peu tardé à revenir. Mais je fus d’autant plus polie et crois que tout le monde se retira content. Je me sentais véritablement l’amie de l’humanité ce jour-là ; aussi est-on resté chez moi jusqu’après trois heures. Les Lowell, en venant me voir pour la première fois après leur malheur, m’ont fait un charmant cadeau ; Marie posa sur le plancher un grand plateau couvert des plus jolies mousses et lichens, qu’elle et James avaient ramassés sur les montagnes, sachant combien je les aime. J’ai été fort touchée de cette attention, et touchée aussi de revoir des espèces de lichens du genre de ceux que j’ai cueillis moi-même sur les montagnes près du parc d’Orsta : je ne pus m’empêcher de les arroser de mes larmes. Mon âme est comme une mer houleuse, dont les vagues montent et descendent alternativement ; elles sont cependant portées par le même élément.

Hier dans l’après-midi, W. Émerson est venu chez moi, et nous avons eu une conversation très-sérieuse. Je craignais que mon admiration pour lui, le charme sous lequel je suis à son égard, ne m’eussent empêché de faire ma profession de foi, et donné l’apparence de partager la sienne : je craignais d’avoir été ainsi infidèle à mon amour le plus élevé, et c’est ce que je ne voulais pas. Précisément parce qu’Émerson me paraît si noble, si grand, j’ai désiré me poser avec netteté devant lui comme devant ma propre conscience et entendre les objections qu’il fe-