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LA VIE DE FAMILLE

avec abondance est presque passé maintenant. Je te quitte pour aller chez madame Howland et voir si je pourrai vivre avec elle, c’est-à-dire si elle me plaît. Sinon je resterai ici, quoique ce ne soit pas assurément un Eldorado. Les hôtels, c’est probable, ne sont pas ce qu’il y a de mieux dans la ville. Un chaos de petits nègres fourmillent autour de la table du dîner et du souper pour représenter des domestiques ; mais ils ne font que courir les uns à travers les autres, sans tenue ni manières, bouleversent tout sur la table et enlèvent le plat dont précisément on voudrait manger. Je suis servie dans ma chambre par une petite fille mulâtre, adroite, déguenillée, dont l’air est si bon, si patient, que — cela fait mal. Je lui ai demandé ce qu’on lui donnait de gage : elle m’a regardée avec surprise et répondu qu’elle appartenait à « Mame. » Mais « Mame » est une femme à l’air et aux yeux si durs, que je ne voudrais pas être sa propriété. — Pauvre fille !

Je resterai probablement encore quelques jours dans cette ville, puis j’irai plus au sud, à Savannah et à Augusta (dans la Géorgie), où j’ai été invitée par mes compagnons de voyage du « Canada, » la famille Bones et mademoiselle Longstreet. J’y passerai sans doute le mois d’avril, car c’est, dit-on, le paradis du Sud, et j’y trouverai peut-être l’occasion de voir quelques plantations. Si ces Méridionaux savaient avec quel esprit exempt de préjugés et loyal je viens à eux en cherchant uniquement la vérité en tout, et prête à rendre justice à ce qui est bon, même dans l’esclavage, ils ne m’accueilleraient pas avec des regards de méfiance. Ensuite je n’ai pas le désir de fouiller seulement le côté affligeant de la vie du Sud ; on l’a déjà fait assez souvent avant moi. Je veux voir la nature, la vie, le Nouveau-Monde à venir même ici, sous la face que cette