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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

dont deux tiers de noirs. Ils chantèrent tout le long du chemin et étaient fort animés.

Le lendemain matin j’étais en route pour Savannah avec un petit panier de bananes et des biscuits, que mon amie, madame Howland, avait faits pour moi. Je suis partie seule avec ces fruits et un bouquet de madame Holbrook. La journée était magnifique. En remontant la Savannah, qui forme en serpentant des milliers de coudes, nous passâmes entre des rives verdoyantes, basses, mais ornées de jolies portions de bois et de plantations avec leur corps de logis principal et de petits villages d’esclaves fort propres. Ce fut pour moi une récréation continuelle. Les villages d’esclaves ne sont pas une vue gaie ; mais ayant, jusqu’à présent, rencontré plus de noirs contents que malheureux, leurs habitations ne me faisaient point éprouver un sentiment pénible. L’équipage de mon petit bateau à vapeur se composait uniquement d’esclaves nègres et mulâtres. Le capitaine me dit qu’ils étaient fort heureux, fidèles, capables. « Celui-ci, ajouta-t-il en me désignant du regard un mulâtre plus âgé que les autres, qui avait une figure remarquablement belle, mais, à ce qu’il me semblait, mélancolique, celui-ci est mon serviteur le plus intime, et je n’en souhaite pas d’autre comme garde-malade et ami près de mon lit de mort. » L’équipage avait l’air d’être bien nourri et bien soigné. Une belle et grasse mulâtresse me dit à demi-voix, lorsque nous fûmes seules : « Que dites-vous de l’institution de l’esclavage dans le Sud ? — Il me semble, répliquai-je, que les esclaves, en général, ont l’air heureux et bien traités. — Oui, dit-elle, ils en ont l’air mais… » et elle lança de grands coups d’œil significatifs, comme si elle eût voulu dire : Tout ce qui reluit n’est pas de l’or… « Vous pensez qu’ils ne sont pas bien traités ?