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LA VIE DE FAMILLE

demandai-je. — Quelques-uns le sont assurément, mais… » et les coups d’œil recommencèrent. J’aurais désiré qu’elle m’en eût dit davantage, mais cette femme appartenait au bateau, je n’ai pas voulu l’interroger. Je ne suis pas un espion, ma nature s’y oppose ; quand je n’apprends pas une chose par ma propre expérience, ou par hasard, — je ne la sais pas. En tout cas, la mulâtresse ne m’aurait rien dit que je ne susse déjà : il y a de bons maîtres, il y en a de mauvais ; il y a des esclaves heureux, il y en a de malheureux, et l’institution de l’esclavage est — un grand mensonge, surtout dans le Nouveau-Monde, où règne la liberté.

Il se trouvait à bord beaucoup de personnes que je connaissais, entre autres mademoiselle Mary Plumb, très-vive et toute âme ; elle est de l’État de New-York et passe les hivers à Savannah pour cause de santé. Sa poitrine étant délicate, les hivers du Nord la font beaucoup souffrir. L’air méridional et surtout celui de Savannah la ranime. Je faisais société le moins possible, et jouissais en silence du plaisir de naviguer sur la Savannah, de cette belle journée, de cette nature paisible et lumineuse, si différente de celle du camp religieux. Quand le soleil fut couché et la nuit venue, je vis tout à coup, — comme cela arrive dans cette latitude, — une lueur blanche s’élever de la partie sud du ciel vers le zénith. On me dit que c’était la lueur tropicale. Elle n’était pas flamboyante, de diverses couleurs et parée comme le sont presque toujours nos aurores boréales, mais paisible, douce et fort transparente. Un monsieur sérieux, d’un certain âge, en compagnie duquel je regardais les constellations sur le tillac, m’a dit que, plus avant dans l’été, on pouvait apercevoir à l’horizon la Grande-Croix, et même l’étoile de première grandeur du navire l’Argo. Tu le vois, de nouvelles lumières, de nouvelles con-