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LA VIE DE FAMILLE

jeune Judith Manigault, tandis que les soldats dormaient, et nous leur abandonnâmes tout. Nous eûmes le bonheur de nous cacher pendant dix jours dans le Dauphiné, tandis qu’on nous cherchait. » Après un voyage rempli d’aventures et d’adversités, Judith continue :

« Arrivés dans la Caroline, nous éprouvâmes toutes sortes de malheurs. Au bout de dix-huit mois, notre frère aîné mourut de la fièvre, épuisé qu’il était par un travail rude auquel il n’était point accoutumé. Depuis notre départ de France, nous avions éprouvé des chagrins, souffert des maladies, de la peste, de la faim, de la misère. Pendant six mois, j’ai travaillé à la terre comme une esclave, sans manger un morceau de pain, et, durant quatre ou cinq ans, j’en ai manqué lorsque j’en avais besoin. Et cependant Dieu a fait de grandes choses pour nous en nous soutenant au milieu de si grandes épreuves. » Le fils de Judith Manigault, qui devint riche, consacra pendant la lutte pour l’indépendance américaine sa grande fortune au service du pays « qui avait accueilli sa mère. » Des familles persécutées du Languedoc, de la Rochelle, de la Saintonge, de Bordeaux et autres villes et provinces françaises, qui avaient les vertus des puritains et non pas leur étroite partialité, s’enfuirent vers la Caroline. On leur donna des terres sur les bords fleuris des rivières, et elles purent, à l’ombre d’arbres antiques et splendides, adresser à Dieu leurs actions de grâces. C’est ainsi que la Caroline du Sud est devenue le refuge des puritains français, et a pris place dans le grand asile de tous les peuples que le Nouveau-Monde leur offre aujourd’hui. Maintenant encore la Caroline et la plupart des provinces du Sud sont remplies de familles qui descendent de ces anciens émigrants huguenots ; mais ils n’en ont guère conservé que le