Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
LA VIE DE FAMILLE

parut. Elle ressemblait à un chaos de vagues formées par des montagnes boisées et des vallées, où les habitations des hommes n’étaient représentés que par de petites taches claires a peine visibles a l’œil nu. De pareilles vues m’oppressent toujours, tu le sais. L’homme, si grand dans sa souffrance, dans sa lutte, n’est plus rien, aperçu de ces hautes montagnes matérielles ; c’est pourquoi elles ne me plaisent pas. Ce que cette vue avait de rafraîchissant pour moi, c’est l’aspect de l’Hudson, qui, semblable à une pensée lucide sortant du chaos, se frayait une route hors de la forêt et coulait resplendissant vers l’infini. Notre société était un peu trop nombreuse et trop gaie pour moi. Je ne sais quel mutisme inquiet s’empare de ma personne dans ces compagnies joyeuses, surtout lorsque je suis en plein air, dans la nature ; j’aurais eu besoin, ici, d’être seule avec cette grande scène naturelle. Un moment de solitude avec elle, ou avec Downing, qui sait être gai avec ceux qui le sont, et muet avec les caractères silencieux, fut le bon morceau de cette course, à laquelle ne manquèrent ni le champagne et les badinages, ni les choses substantielles, ni les hommes polis, ni les jeunes personnes et les femmes jolies. Oui, en vérité, elles ne manquent pas ici ; mais elles sont plutôt jolies et frêles que belles. Je n’ai pas encore vu une véritable beauté, ni un seul visage laid ou un individu contrefait. Ce qui me plaît surtout, ce sont les manières aisées, faciles, et cependant modestes et amicales de la jeunesse des deux sexes entre eux.

Nous rentrâmes, le soir de notre promenade aux montagnes, convenablement fatigués, et le repos fut délicieux dans le charmant et calme foyer avec M. et madame Downing.

Ce qui me reste de cette course, c’est la vue de la rivière