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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

avec indifférence et même avec dédain ; mon entreprise lui paraissait complétement folle. Mes amis étaient polis mais craintifs. Ils écoutaient mes explications avec patience, tandis que leur physionomie annonçait une méfiance décidée. Comme j’allais tous les jours au chantier où mon bateau était en construction, je me suis souvent arrêté, sans être connu, dans les groupes des étrangers oisifs qui s’y réunissaient, et j’écoutais leurs questions relativement à ce nouveau moyen de locomotion. Leur langage était toujours celui de la dérision et du ridicule jeté sur l’entreprise On riait tout haut, on plaisantait à mes frais, on calculait les dépenses et les pertes auxquelles la « folie de Fulton » (on appelait ainsi mon entreprise) donnerait lieu ; jamais la moindre remarque encourageante, une espérance, un souhait bienveillant, n’atteignit mon oreille.

« Le jour de l’expérience arrive enfin. C’était pour moi un moment décisif. J’avais invité plusieurs amis à bord pour assister à cette première course ; un bon nombre d’entre eux me fit l’amitié de venir, mais ce n’était pas avec plaisir, tant ils étaient fermement persuadés qu’ils seraient les témoins de mon humiliation et non pas de mon triomphe. Je savais fort bien qu’il y avait des raisons suffisantes pour douter de mon succès ; la machine était neuve et mal faite, plusieurs de ses parties avaient été confectionnées par des ouvriers qui ne connaissaient pas ce genre de travail ; des difficultés provenant d’autres causes pouvaient surgir. Le moment où le bateau devait commencer à se mouvoir arriva. Mes amis formaient des groupes sur le pont ; ils étaient silencieux, abattus, leurs regards exprimaient l’inquiétude mêlée à la crainte. Le signal fut donné, le bateau fit un mouvement, marcha pendant un instant, puis, s’arrêta et resta immobile. Le premier silence