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LA VIE DE FAMILLE

combattant lorsqu’il est troublé ; je le crois. C’est une de ces natures moitié homme, moitié démon, que les déserts de l’Amérique semblent produire encore.

J’ai vu l’autre jour une curiosité de moindre espèce, non pas dans le désert, mais au Capitole. Me trouvant à la chambre des représentants, où il y avait beaucoup de monde dans la galerie, je m’avançai jusqu’à la balustrade pour essayer d’entendre quelque chose de ce qu’on disait en bas dans la salle. Debout, près de moi, était une femme d’âge moyen, pauvrement vêtue, et si petite, qu’elle atteignait à peine mon épaule. Quelques personnes venues dans la galerie pour me saluer prononcèrent mon nom, et lorsqu’elles se furent retirées, ma petite dame se tourna vers moi en exprimant le désir de me « donner une poignée de main, » me demanda la permission de dire que j’étais la bienvenue. Mais elle ajouta d’un ton mécontent : « Je suis fort désappointée à votre égard. — Et pourquoi ? demandais-je. — Parce que, dit-elle avec un regard sérieux et peu satisfait, je vous croyais de haute taille. — Ah ! repris-je en souriant, aviez-vous le désir que je fusse grande ? — Pas précisément, mais je suis fort désappointée. » La main posée sur sa poitrine, elle continua, complétement tournée de mon côté et avec beaucoup d’emphase. « Vous voyez en moi une descendante des vieux pèlerins, une descendante en ligne directe du célèbre Miles Standish. » Cette petite femme s’attendait évidemment que j’allais éprouver beaucoup de surprise ; mais je me bornai dire : « Ah !… » Si j’eusse eu un peu d’énergie, j’aurais ajouté : « Vous me désappointez extrêmement, car la petite-fille du grand Miles Standish devrait avoir au moins six pieds de haut. » Mais je m’en tins à une exclamation joyeuse avec un regard et un sourire qu’elle put expliquer à son gré ; ce fut probablement à son avantage, car elle