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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

écrit à son amie d’Amérique : « Je pressens un grand changement dans mon sort. Je sens l’approche d’une crise… Des diseuses de bonne aventure ont dit à Ossoli dans ses jeunes années de se méfier de la mer, et ceci est son premier grand voyage par eau… Mais si un malheur doit arriver, je périrai avec mon mari et mon enfant. » Son pressentiment se réalisait, et elle voulait mourir avec les siens.

Un matelot avait attaché le petit garçon et une petite fille italienne à une planche et s’était jeté à la mer avec eux, dans l’espoir de les sauver. On dit à Margaret Fuller qu’ils avaient atteint heureusement le rivage, ainsi qu’Ossoli. Elle consentit alors à se laisser attacher à une planche, mais elle n’arriva point à terre, l’abîme l’engloutit. Une vague en passant sur le pont avait emporté Ossoli. On n’a retrouvé le corps ni de l’un ni de l’autre ; les deux enfants périrent également. La prière de Margaret Fuller avait toujours été : « Une mort prompte, une courte agonie. » Le ciel l’avait exaucée, elle était avec les siens. Sa mère et sa sœur s’étaient rendues à New-York pour la recevoir ; on dit que leur affliction touche au désespoir. Depuis si longtemps elles se préparaient avec tant de joie et de soins à ce retour, voulaient rendre Margaret si heureuse ! et le petit garçon, — tout était prêt pour lui, son lit, sa chaise, sa table !… Parmi ceux qui ont péri se trouve le frère de Charles Summer, le jeune homme qui était allé à Saint-Petersbourg porter un gland à l’empereur Nicolas.

Rien dans ce que j’ai lu de Margaret Fuller ne me semble justifier le pouvoir entraînant que sa conversation paraît avoir eu. Comme auteur, elle me semble assez faible ; mais un noble et grand esprit règne dans ses écrits : il s’afflige, s’irrite souvent contre ce qu’il trouve de bas chez ses con-