Aller au contenu

Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 2.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
LA VIE DE FAMILLE

sait manger son enfant, qui pouvait avoir trois ans et avait aussi une jolie tache rouge sur chacune de ses joues rebondies. « Hoxidan ? » demandai-je en montrant l’enfant du doigt. Ce mot signifie garçon. « Winnona, » répondit-elle d’une voix basse et mélodieuse, c’est-à-dire une fille. Mon approvisionnement de mots indiens se trouvant épuisé, je demandai par signe à goûter ce qu’elle donnait à son enfant. Elle me présenta amicalement écuelle et cuiller. C’était une espèce de soupe à l’eau avec de petits haricots, sans sel et sans le moindre goût. Elle m’offrit ensuite d’un gâteau qui venait d’être grillé, d’un beau jaune, et avait un air fort appétissant. Il était, je crois, de froment, de même sans sel, mais du reste très-bon.

L’interprète était sorti et M. Ramsay s’assit : les hommes travaillaient à leurs pipes, le feu flambait gaiement, le chaudron bouillait, les femmes mangeaient ou me regardaient, moitié couchées ou assises négligemment à la clarté du feu, et moi — je les regardais, je contemplais avec un profond étonnement ces êtres, des femmes comme moi, ayant des sentiments féminins, et cependant si différentes de moi quant au but de la vie, à la vie journalière, à leur monde.

Je songeai à une vie de famille froide, sombre, dans le monde civilisé ; à un foyer sans amour, limité par une opinion morte-née, ayant des devoirs de société pour les filles, c’est-à-dire qu’elles doivent chercher à plaire aux hommes sous peine de ne jamais sortir de la maison ; devoirs qui leur ôtent toute perspective d’indépendance, de liberté, d’activité, de joie, et dont les murailles invisibles les tiennent enfermées plus rigoureusement que le Tepée. Il y a encore beaucoup de ces foyers-là dans le Nord, et la tente, la vie indienne, me paraissaient plus heureuses