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LA VIE DE FAMILLE

Lorsque cette femme reprit peu à peu connaissance, son regard était fixe ; mais il me sembla que c’était intérieurement plutôt qu’extérieurement ; elle se parlait bas, et son visage avait une si jolie expression de béatitude, que j’aurais voulu voir ce qu’elle voyait ou découvrait dans ce moment. Ce n’était pas une vision terrestre ordinaire ; son visage était pour ainsi dire glorieux. À mesure qu’elle rentrait dans son assiette en poussant de profonds soupirs, l’extérieur aussi reprenait son expression ordinaire ; elle pleura beaucoup, mais avec calme et sans bruit.

Insensiblement la tranquillité se rétablit dans l’église : les cris, les bonds, les exhortations, les sermons cessèrent. On se donna des poignées de mains, on causa, rit, se félicita avec tant de cordialité et de joie, avec une chaleur si intime, si bienveillante, que cela faisait plaisir à voir. Il ne restait de cette scène bruyante, exaltée, qu’un sentiment de plaisir et de satisfaction, comme si on avait assisté ensemble à une fête joyeuse.

J’avoue que ce spectacle m’avait amusé jusqu’à la fin. Il n’en fut pas de même d’Anne W. ; elle regardait ce service divin désordonné et sauvage avec une expression de surprise et presque d’indignation ; et lorsque notre exhorteur, au cœur chaud, s’approcha de nous et se tourna surtout vers mademoiselle W., en s’excusant de ne l’avoir point aperçue plus tôt, je vis la jolie lèvre inférieure de ma compagne s’avancer avec un peu de dédain, tandis qu’elle répondait : « Je ne vois pas en quoi nous avons été négligées par vous. » L’exhorteur paraissait avoir grande envie de prêcher devant nous, et je l’aurais volontiers entendu faire des exhortations chrétiennes avec sa chaleur africaine ; mais nous nous en tînmes à des poignées de mains au nom de notre Seigneur et Maître commun.