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le mystère du b 14
à contre-voie, pour ne pas être remarqué et

se fait sottement écraser par un train qui arrive en sens inverse… Voilà… Vous voyez, mon cher confrère, comme tout cela est simple… Je vous le dis, un véritable conte enfantin…

Rosic songeait. C’était vrai, tout de même : la chose était la plus simple du monde ; grâce à ce Barnabé, toute obscurité s’éclaircissait et ce mystère devenait d’une limpidité stupéfiante.

L’évidence éclatait aux yeux du chef de la Sûreté lyonnaise, qui se sentait tout de même un peu humilié auprès de son confrère américain.

Mais T. D. Shap n’avait point l’air de triompher, et il dit :

— Voyez-vous, c’est quand j’ai entendu la femme de ce garde-ligne parler de pomme reinette que j’ai eu la nette perception de la chose. Cela vous a échappé, Monsieur Rosic, parce que chez vous on travaille peu à l’anesthésique, tandis que chez nous la chose est des plus communes. Puisque notre homme exhalait cette odeur caractéristique, c’est qu’il avait été chloroformé ; puis déshabillé, puisqu’il n’avait sur lui aucun argent ni aucun papier, et qu’au dire du contrôleur aucun des voyageurs ne portait de costume verdâtre. Enfin, quand j’ai connu que le contrôleur des wagons-lits n’avait pas reconnu le cadavre, j’ai eu la confirmation éclatante de mon hypothèse.

Rosic hochait la tête ; certes, tout cela était clair ; mais il restait bien quelques coins obscurs ; et il demanda :

— Mais pourquoi votre bonhomme, victime d’un guet-apens, s’est-il sauvé comme un voleur, au lieu d’avertir la police…

— Cela, vous ai-je dit tout à l’heure, est le secret de W. R. Burnt, mais ce secret, il est facile de le deviner… Depuis longtemps, il doit se douter que l’on va essayer de l’assassiner pour lui voler ses papiers, de la plus haute importance, sans doute… Et voici qu’il reprend ses esprits dans la maisonnette d’un garde-ligne… Son premier mouvement est de mettre la main à sa poche, et il est surpris de ne plus retrouver son portefeuille… Il se regarde, s’étonne d’être vêtu d’un complet qu’il ne reconnaît point et comprend tout, car les souvenirs lui reviennent… Mais à ce moment, il croit avoir été la victime de son ennemi… Allons, il n’y a pas de temps à perdre… D’abord, de l’argent, et il court vers la ville la plus proche où un banquier pourra lui avancer de l’argent sur la recommandation de M. Cazeneuve, de Paris…

Mais à Viviers, il lit un journal, apprend la découverte faite dans le B-14 et toute la vérité lui apparaît. Et il part pour Valence, afin de voler le veston de l’assassiné, qui est son veston, à lui, et où se trouvent ses papiers. Est-ce clair ?…

— Oui ! fit Rosic. Je l’avoue… Vous êtes mon maître… Mais pourquoi à Viviers, chez ce banquier, au lieu de donner son nom, se recommande-t-il du « poignard de cristal », l’instrument du crime ?

— Pensez-vous véritablement que Barnabé ait été décapité avec ce joujou ?

— Mais…

— Je me suis laissé dire qu’aux Indes, où on adore les surnoms, un officier anglais qui répandait la terreur parmi les rebelles était désigné par eux sous le sobriquet de Crystal Dagger. Ce pourrait être notre homme… Mais, croyez-moi, Barnabé n’a pas eu le cou coupé par un poignard de cristal et si vous en avez trouvé un dans le wagon, c’est qu’il avait glissé de la valise de W. R. Burnt, au moment où son ennemi l’ouvrait pour voir si les papiers s’y trouvaient bien…

— Alors, la valise trouvée dans le wagon…

— …était celle de Joé Wistler, qu’il avait apportée de son compartiment pour y mettre les papiers dont il voulait s’emparer par un crime. Mais le temps lui a manqué ; il a pris celle de Burnt et laissé la sienne, ce qui a causé votre erreur sur les personnes…

— Mais, fit encore Rosic, cette fois en fixant ses yeux dans ceux du détective, dans tout cela je ne vois pas comment vous avez pu découvrir que le onzième voyageur se nommait Barnabé…

Et T. D. Shap se mit à rire, franchement :

— C’est que je suis allé avant vous dans le défilé du Robinet et que sur la voie devant l’arbre où était tombé W. R. Burnt, j’ai trouvé ce papier qui avait glissé de la poche de ce gentleman durant la trajectoire qu’il faisait du wagon à l’arbre… Or, comme le veston était celui de Barnabé, la lettre lui appartenait… Lisez-la.

Et il tendit à Rosic un chiffon de papier sur lequel celui-ci put lire :

« Vieux Barnabé, puisque tu as pu te tirer du dur, ne t’attarde pas à Marseille, viens à Pantruche où le boulot ne manque pas, et tu… »

Le reste manquait.

— L’erreur n’est pas possible !… Je suis convaincu !…

— Gardez ce papier, répliqua le détective, il pourra vous servir. Car, n’est-ce pas, je

ne m’occupe pas de cette affaire, moi… et