Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/192

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Les rouets et les fuseaux tournent et sont en fête.
Pour exciter ici le zèle et la gaîté,
Il n’était pas besoin de ruban argenté ;
Car Tréguier, le pays des maîtresses fileuses,
Sans mentir est aussi le pays des chanteuses :
De la Bonne-Duchesse au premier roi Conan,
Elles pourraient trouver une chanson par an.
 
Cependant dites-nous, ô blanche filandière,
Innocente Mana, qui restez en arrière
Malgré vos quatorze ans, Manaïc, dites-nous
Pourquoi, comme vos yeux, votre chant est si doux !
En fumant près du feu votre aïeul vous écoute,
Et votre père aussi : vous les aimez sans doute ;
Mais, blanche filandière, innocente Mana,
Si douce, votre voix jamais ne résonna !…

Ah ! voici près de vous deux garçons de Cornouaille,
Avec leurs longs cheveux tombant jusqu’à la taille !
Ils sont là, leurs regards par le vôtre éblouis,
Ces deux enfants de Scaer, errant loin du pays !
Votre père accueillit les jeunes réfractaires ;
Et déjà, sous ce toit entouré de mystères,
Il semble qu’oublieux des anciennes amours,
Volontiers loin du monde ils passeraient leurs jours ;
Ils ont tout oublié, leurs parents dans les larmes,
Des amis inquiets, et même les gendarmes
Qui peuvent, tout à coup entrant dans la maison,
De ce réduit heureux les traîner en prison.
 
Mais la gentille enfant : « Ce soir, chacun travaille ;
Resterez-vous oisifs, nos amis de Cornouaille ? »