Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/193

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Et Loïc élevant les mains, Mana roulait
Son fil neuf à l’entour. Pour Lilèz, il filait.
Aussi s’écriait-il gaîment : « Me voilà fille !
Apportez une jupe, et vite qu’on m’habille !
— Est-ce donc votre barbe, ô jeune homme si fier,
Qui vous dit qu’une coiffe irait mal à votre air ? »

Tous de rire ; et Lilèz, se troublant dans son rôle.
Un moment demeura honteux, le joyeux drôle !
 
La mère poursuivit : « Conscrit aux airs railleurs,
Les gars de Pont-Ivi sont, comme nous, fileurs ;
Mais croyez que leurs mains, pour tenir la quenouille,
Ne laissent pas manger leurs fusils par la rouille.
Oui ! même les Esprits de la mer et des bois
à tourner le fuseau se plaisaient autrefois.
— C’est vrai, dit le grand-père en lâchant ses bouffées :
À Berneuf, les anciens ont vu filer les fées.
— Grand-père, oh ! dites-nous un conte du vieux temps !
— Moi, bon Dieu ! Je n’ai plus ni mémoire, ni dents ;
Mais mon fils et ma bru connaissent cette histoire.
— Eh bien ! je vais fouiller au fond de ma mémoire,
Dit Jeanne ; et mon mari, qui se tait dans son coin,
Hervé, me prêtera secours s’il est besoin.
 
« Voici de ça longtemps. Alors les pauvres femmes
N’usaient point à filer leurs corps avec leurs âmes.
Car dans leurs beaux palais de jaspe et de corail
Des Esprits bienfaisants seuls faisaient ce travail.
Ces Esprits, les Bretons les appelaient des fées.
Or ces dames, de gaze et de soie attifées,
Depuis bien des mille ans au doux pays d’Arvor