Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/203

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Elle est aveugle aussi ; notre sort est pareil :
Comme moi, ma maison est fermée au soleil… »

— « Oh ! la douce chanson ! la chanson douce et tendre !
Dirent les jeunes gens ; heureux qui peut l’entendre !
Imprimez-la, brave homme, et de tous nos pays
Des pèlerins viendront saluer ce logis ;
Et si, comme aux Pardons, chacun laisse une offrande,
La petite maison bientôt deviendra grande.
Mais vous n’avez point dit, ô maître des songeurs.
Si jamais votre seuil s’ouvrait aux voyageurs. »

L’aveugle avec bonté s’était pris à sourire.
Il étendit les bras devant lui sans rien dire,
Et quand des jeunes gens il eut saisi la main :
« Mes amis, je vous tiens sous clef jusqu’à demain. »
 
Ils entrèrent. Bientôt un feu de lande sèche
Egaya la maison encore humide et fraîche ;
Et même un peu de cidre animant les conscrits :
« Jean Le-Guenn, dirent-ils, vous logez des proscrits !
— Certain par vos discours de vos âmes honnêtes,
Je ne demande pas, mes enfants, qui vous êtes ;
Sans crainte en mon logis vous pouvez demeurer :
Errant toujours, je sais tous les ennuis d’errer. »
Et leur montrant à terre une botte de paille :
« Allons, faites vos lits, déserteurs de Cornouaille !
Nul ne viendra ce soir… »

L’aveugle se trompait,
Car à coups redoublés à sa porte on frappait.
Le clerc pâlit, cherchant par quel trou disparaître ;
Mais la maison de Jean n’avait point de fenêtre.