Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/87

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Nous autres Léonards, quoique de même souche,
La langue de Cornouailie est dure à notre bouche. »
 
On s’embarqua, chacun fit sa prière à Dieu,
La voile frémissait, la mer était en feu,
Et la barque, bientôt toute blanche d’écume,
Aux cris des goélands se perdit dans la brume.

Vers le lever du jour, devant les matelots
Les neuf îles Glénan montèrent sur les flots :
La première, Penn-Fred, et le Lorh, la dernière ;
Benn-Odet, au couchant, déchargeait sa rivière ;
Ensuite le clocher aigu de Loc-Tûdi ;
Enfin, quand le soleil vint à marquer midi
(Car le vent, qui changeait sans cesse de demeure,
Obligeait de changer la voile d’heure en heure),
Comme un bruit de chevaux cachés dans le brouillard,
On entendit gronder les rochers de Penn-Marh.

Ils étaient là, debout, pêle-mêle et sans nombre,
Devant eux sur la mer projetant leur grande ombre ;
Les flots couraient sur eux avec leurs mille bras ;
Cabrés contre les flots, ils ne reculaient pas ;
Hérissés, mugissants, inondés de poussière,
Ensemble ils secouaient leur humide crinière.
De leur masse difforme ils effrayaient les yeux ;
L’oreille s’emplissait de leurs cris furieux ;
Et l’homme tout entier, en face de ces roches
Dont les oiseaux de mer seuls bravaient les approches,
Sur son mince vaisseau, pâle et dans la stupeur,
Se voyant si chétif, sentait qu’il avait peur.