Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/88

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La barque heureusement doubla les noires pointes,
Mais chaque passager tenait les deux mains jointes,
Et notre jeune fille, assise sur le pont,
Sous sa coiffe de laine Anna cachait son front.
 
Et jusqu’à Plô-Néour, lorsque de la mer haute
Le vaisseau descendit et regagna la côte,
Bien loin de Men-Ménez et de l’île Nona,
L’afl’reux cri des chevaux les suivit jusque-là.
Ô monstres de Penn-Marh, dans son vieil idiome,
Durs rochers, c’est ainsi que le Breton vous nomme !
Ô chevaux de la mer toujours prêts à hennir !
Géant de Tal-Ifern ! noir et grand Carrec-Hîr !
 
Mais du côte d’Od-Diern, au milieu de la baie,
La vague était moins rude : ouvrant sa large raie,
Le côtier poursuivit sa route en sûreté ;
Le mousse et les marins reprirent leur gaîté ;
On alluma le poêle, et l’odeur de la soupe
Emplit le bâtiment de l’avant à la poupe.
C’est alors que Lilèz, qui, penché sur la mer,
Depuis longtemps mêlait sa bile au gouffre amer,
Le bon Lilèz ouvrit les yeux ; sa chevelure
Pendait comme un filet autour de sa figure ;
11 tordit ses cheveux par les lames mouillés,
Et, son bâton aidant, se dressa sur ses pieds ;
Mais sur ce sol nouveau les jambes lui manquèrent ;
Du jeune laboureur les marins se moquèrent.
« Damnés ! s’écria-t-il en tombant, dans nos prés
Venez, venez lutter un jour, et vous verrez ! »
Puis la houle revint, et le coup de tangage
Le roula dans sa bile aux pieds de l’équipage.