Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

339] doctrine Spinoza ne raisonne pas comme ceux qui disent qu’il faut une religion pour le peuple. Il n’y a dans sa pensée aucun scepticisme ; il ne considère pas les préceptes religieux comme des moyens de gouvernement inventés par les politiques. Il ne croit pas que les sévères maximes de la morale, prescrites par la religion, soient bonnes seulement pour les simples, et que les habiles puissent se mettre au-dessus d’elles et se dispenser de les observer. Ce ne sont pas les hommes qui ont inventé la religion, c’est Dieu lui-même qui la leur a révélée, parce qu’il a voulu mettre à la portée de tous et proportionner à la faiblesse d’esprit du vulgaire la vérité accessible seulement à un petit nombre d’intelligents. « Le peuple dont le génie grossier est incapable de percevoir les choses d’une façon claire et distincte ne peut absolument se passer des récits (de l’Écriture) ». La révélation n’a d’ailleurs pas toujours été transmise à l’homme de la même manière. On peut distinguer différents degrés et des termes de plus en plus approchés de la vérité. Les prophètes ont été envoyés par Dieu, mais ils ne comprenaient pas le vrai sens de ce qu’ils enseignaient. Leur imagination seule, non leur raison, inspirait leurs discours. Ils enseignaient la pratique de la vertu sans savoir et sans comprendre comment elle dérive nécessairement de l’essence de Dieu ; aussi leurs paroles sont-elles toujours appropriées à leur nature ou à celle de leurs contemporains et accompagnées de beaucoup d’erreurs. Avec Moïse nous nous élevons à un degré plus élevé. Ce n’est pas d’une manière indirecte et par des visions que Dieu s’est manifesté à lui ; il lui a parlé, il lui a assigné une mission, qui était de conduire le peuple hébreu à sa destinée. « S’il est parmi vous quelque prophète de Dieu, je me révélerai à lui en vision (c’est-à-dire par des figures et des hiéroglyphes, puisqu’il est dit de la prophétie de Moïse que c’est une vision sans hiéroglyphes). Je lui parlerai en songe (c’est-à-dire sans paroles réelles, sans voix véritable). Mais je n’agis point ainsi avec Moïse, je lui parle bouche à bouche et non par énigmes et il voit la face de Dieu. » Toutefois Moïse lui-même ne connaît pas toute la [340]