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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

il bien être ? Plus tard encore, on vendait un composé d’amidon et de quelque chose… je ne sais quoi ; on débitait ce mélange comme du lait pure crème, naturellement ; on le payait en raison de sa rareté et de sa qualité. Un jour mon cher petit se fâcha, il recracha son lait qu’il avait dans la bouche ; je remarquai dans le fond de son verre un dépôt d’un blanc laiteux, il y avait de l’amidon et du plâtre, pas une goutte de lait n’était entrée dans cette affreuse composition, l’autre petit étant plus âgé buvait comme nous. De ce jour je n’ai plus voulu acheter de lait.

Que pouvais-je faire ?

Jusqu’alors l’enfant avait été assez gai, il prit une petite mine penchée, si triste ; je me demandais parfois : À quoi songe-t-il ? Il avait un air rêveur, il toussotait un peu.

Je résolus de changer ma manière de faire, ne voulant pas l’empoisonner avec toutes ces drogues. J’ai fait cuire du gruau et au lieu de lui couper avec du lait, j’ai acheté une bouteille de vieux vin de Bordeaux je mettais un tiers de vin dans un verre, et j’ajoutais le gruau et du sucre, après quelques jours il toussait moins, puis je lui donnais un œuf frais à la coque chaque jour, lorsque le prix en était encore possible. Quelques jours plus tard j’ai dû les payer 1 franc la pièce ; le beurre augmentait terriblement, la dernière livre que j’ai acheté avait coûté 6 francs (en décembre, il coûta 20 francs), je le conservais religieusement pour la soupe des enfants, j’en avais une livre, quelques jours après il était rance, il piquait à la gorge, j’ai dû