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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

des yeux, elles gelèrent sur mes joues, je les détachais difficilement de mon visage.

Le 26, le froid continue toujours, le combustible manque, la nourriture est déplorable ; on coupe toujours les arbres des avenues du Bois de Boulogne. Aujourd’hui je suis libre de service, je vais au cimetière ; devant la porte il y a des files ininterrompues de corbillards ; les chevaux soufflent, les cochers battent la semelle en attendant leur tour d’entrer.

Les nerfs sont si tendus, notre malheur est si grand qu’on ne pleure plus les morts, on les enfouit, et l’on court reprendre son poste d’action ; allant vers d’autres hécatombes, telle est la vie à Paris.

Le peu de personnes qui ne font pas partie de la vie active se couchent à 7 heures du soir, et se lèvent à 9 heures du matin, il fait si froid dans les chambres, au lit, au moins on a plus chaud.

29 décembre. Pour la première fois, vraiment, on voit poindre sur tous les visages le découragement.

Le 30 le plateau d’Avron est abandonné ; l’idée de la capitulation commence à surgir dans tous les esprits.

Quoi ! avant que le dernier morceau soit mangé, est-ce possible ?…

C’était le commencement de la désespérance.

Le général Trochu, avec une armée de 500 000 hommes, qui n’ont manqué ni de courage ni de bravoure, d’une admirable endurance, aura sans une bataille décisive, sans rien d’intelligent, fait de cette défense la plus honteuse défense des temps historiques.