Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/10

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Lorsque Yves rentra chez lui, ce soir-là, sa mère le regarda avec inquiétude.

— Qu’est-ce qui ne va pas, mon grand ? Tu t’es querellé avec ta fiancée ?

Il s’efforça de prendre un air dégagé.

— Pas du tout ! Seulement, je suis un peu contrarié parce qu’elle ne travaillera plus avec moi.

— Elle a été congédiée ?

— Non, Elle va donner sa démission,

Il n’osait pas encore révéler que Gisèle se lançait dans une carrière que sa mère jugeait fertile en tentations, embûches et périls de toutes sortes. Un peu lâchement, il expliqua sans préciser :

— Elle a trouvé une meilleure place…

— Une meilleure place ! s’étonna Mme Lebonnier. Mais la meilleure place, pour elle n’est-elle pas près de toi ! Décidément, je ne comprends rien à la mentalité des jeunes filles modernes !

— Ne cherche pas à comprendre, va, maman, conclut Yves avec un sourire un peu triste. Il faut les prendre comme elles sont !


II

— Je sens que tu m’échappes, que tu n’es plus tout à fait à moi…

— Tes soupçons sont blessants et ridicules. Je t’aime, tu le sais bien…

Oui, c’est Gisèle qui prononce ces paroles, mais elle ne s’adresse pas à Yves. Elle donne la réplique à un grand jeune homme qu’Yves, précisément, trouve stupide et prétentieux. Car il est là, Yves, assis au fond de la salle obscure, tandis que sur la scène chichement éclairée par une seule grosse lampe, les élèves du Cours d’Art dramatique Christophe répètent sous la direction du maître. Il y a maintenant trois mois que Gisèle étudie : la diction et la comédie chez Christophe, « la pépinière des vedettes », le chant chez Suzy Dorly, ancienne gloire du music-hall, la culture physique, la danse classique et moderne dans un institut spécialisé. Oh ! elle ne fait pas les choses à demi ! Elle brûle d’une ardeur qui doit être véritablement le « feu sacré », et elle ne ménage ni ses efforts ni ses peines. « Et dire qu’au bureau, pense Yves, je la trouvais parfois nonchalante… Ici, on voit qu’elle est dans son milieu, dans son climat… »

Elle y est même tellement qu’on ne peut plus l’en sortir. Yves ne la voit plus qu’en courant, entre deux répétitions, ou bien lorsqu’il vient l’attendre à la sortie d’un cours, comme ce soir. Mais le cours qui doit se terminer à six