Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/9

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Elle lui donna une tape sur la main.

— Taisez-vous ! Vous savez bien que je vous aime…

— Oui, mais vous aimez encore mieux « le rêve de votre vie… » dit-il d’un ton amer.

Et brusquement, la prenant par le bras, avec cette rage de démolir leur bonheur qu’ont parfois les amoureux, il lui jeta :

— Si je vous demandais de choisir, Gisèle ?

Une ombre passa sur les beaux yeux couleur de mer, et la jolie bouche fardée se crispa.

— Ne me le demandez pas, Yves, Soyez raisonnable. Je vous pose loyalement la question : acceptez-vous de me partager avec les exigences de ma carrière artistique ? Si c’est oui, rien ne sera changé entre nous. Si c’est non… vous serez seul responsable de la rupture…

Ce dernier mot semblait au jeune homme un fer rouge sur la plaie de son cœur. Il ne pouvait pas le supporter ! Malgré lui, il cria si fort que des gens assis sur un banc le regardèrent, étonnés, et qu’un vieux monsieur chuchota à sa compagne, avec un soupir de regret :

— Une dispute entre amoureux…

— Gisèle !… disait Yves, éperdu. Ne prononcez pas ce mot ! Vous savez bien que je suis prêt à tout pour vous garder, si peu que ce soit !

Elle eut un sourire triomphant.

— Là !… Vous voici devenu raisonnable. Vous comprenez bien, Yves, qu’à notre époque un être ne peut plus appartenir complètement à un autre être. J’ai, autant que vous, le droit d’affirmer ma personnalité de réaliser mes aspirations. Nous suivons chacun notre carrière, et cela ne nous empêchera pas d’être très unis…

Il approuvait d’un vague hochement de tête, ne voulant pas rouvrir la discussion. Mais l’idéal qu’elle évoquait n’était pas le sien… Il n’osait pas lui avouer qu’il en était resté, lui, à l’ancienne mode sur ce chapitre, et qu’il eût aimé voir sa femme se consacrer uniquement à lui, à son foyer, à ses enfants.

— Ces gosses sont insupportables !

Il sursauta. Cette phrase semblait répondre à sa pensée, et c’était Gisèle qui venait de la dire. Un des nombreux enfants qui jouaient dans les allées du parc Monceau s’était jeté étourdiment dans les jambes de la jeune fille ; une seconde, afin de ne pas perdre son équilibre, il s’accrocha à sa jupe, puis il repartit en courant, tandis qu’elle brossait du bout des doigts, avec une moue dégoûtée, les traces terreuses que les menottes avaient laissées sur le tissu beige clair…