Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/11

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heures et demie se prolonge souvent bien plus tard, ni le maitre ni les élèves n’ayant la notion de l’heure. Alors, Yves at.end, résigné en apparence, mais en réalité rongé d’impatience, que l’Art veuille bien lui rendre son amour. Dans ce milieu où Gisèle s’ébat comme un poisson dans l’eau, il se sent, lui, complètement étranger. Les jeunes gens et les jeunes filles qui sont là, brûlant du même feu que Gisèle, lui apparaissent comme des pantins. Mon Dieu ! pourquoi se donnent-ils tant de mal pour feindre des sentiments qu’ils n’éprouvent pas, pour composer des personnages factices ? Ne pourraient-ils, tout simplement, vivre leur véritable vie ? Yves Lebonnier, nature positive, ne comprend pas ce besoin qu’ont certains êtres de sortir d’eux-mêmes, de changer d’âme, de vivre des aventures imaginaires, en un mot de jouer la comédie.

— Non, Gisèle, votre : « je t’aime » n’est pas bon, intervient le professeur qui a une belle tête de tragédien sur le retour et une voix profonde. Vous dites cela beaucoup trop légèrement comme si vous disiez : « Il va pleuvoir ! »

Les élèves, filles et garçons, rassemblés dans les premiers rangs de la salle pour juger leurs camarades qui répètent, pouffent de rire ; mais Gisèle accueille sans broncher les reproches du maître et les rires des élèves. Yves, éberlué, se demande si c’est bien la même Gisèle qui, au bureau prenait un air pincé à la moindre remarque !

— Reprenez : « tes soupçons sont blessants et ridicules », en appuyant sur les adjectifs. Et puis « je t’aime », plus doucement, en traînant un peu avec une voix caressante… Un petit arrêt… « Je t’aime… » — virgule — tu le sais bien… »

Docile, Gisèle recommence, et la scène se poursuit. Son partenaire suivant les indications de Christophe, la prend dans ses bras, lui chuchote des mots d’amour… Yves, bouillonnant, crispe ses mains sur les accoudoirs du fauteuil. Il a beau savoir que ce n’est pas vrai, il est jaloux, horriblement jaloux.

Oh ! enfin !… le cours est terminé. Les élèves se séparent bruyamment avec des plaisanteries, des rires des embrassades. Yves sait que la familiarité, dans ce milieu, est habituelle et ne tire pas à conséquence. Tout de même, il lui est très désagréable d’entendre les garçons tutoyer sa fiancée l’appeler « mon chou » ou « ma cocotte ». Encore plus désagréable de les voir la prendre par le bras ou par la taille, lui plaquer des baisers sonores sur les joues. Elle tout naturellement, leur répond sur le même ton, rit et les embrasse aussi.

Ce n’est qu’au moment de sortir, escortée d’une bande joyeuse qu’elle aperçoit son fiancé, qui s’est levé, mais