Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/12

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qui est resté dans son coin, l’air sombre et réprobateur. Elle vient à lui, gentille sans embarras.

— Yves !… Vous m’attendiez, mon pauvre chou ?

Elle ne voit pas que ce mot le pique comme une épine, et que c’est à contre-cour qu’il s’avance et lui tend la main. Elle s’accroche à son bras, tout animée encore par la scène qu’elle vient de jouer.

— Il doit être tard ! Rentrons vite père va encore bougonner… Au revoir, tous ! lance-t-elle à ses camarades.

— Au revoir !… Bonsoir Gisèle !…

Dans la rue, elle continue à bavarder, sans se préoccuper du mutisme de son compagnon. Elle vit dans une atmosphère exaltante qui décuple son besoin de s’exprimer, de se répandre.

— Vous m’avez vu jouer ma scène, Yves ? Qu’en pensez vous ? Christophe dit que je fais des progrès étonnants…

— Non je n’ai rien vu, je venais d’arriver grogne-t-il, furieux. Quant aux compliments de Christophe, vous savez, il doit dire ça à tous ses élèves !

Le ton de sa voix est si railleur et si dur que Gisèle s’arrête, froissée.

— Eh bien ! vous êtes aimable, merci !

Il comprend qu’il est allé trop loin et s’excuse, soudain très humble pris à nouveau par la crainte de la perdre.

— Je vous demande pardon… Je suis stupide…

— Vous êtes jaloux, voilà tout, alors que vous n’avez aucune raison de l’être ! tranche-t-elle, énervée. Et si je me mettais à être jalouse, moi ?

L’apostrophe est tellement inattendue qu’il en reste, un instant le souffle coupé ; puis il rétorque en toute innocence :

— Jalouse, vous ? Mais de qui, grand Dieu ? Je ne vois personne, en dehors du bureau…

— Justement !

Elle saisit la balle au bond, ravie, à son tour, de lui faire des reproches.

— Justement au bureau ! Si je vous accusais de flirter avec ma remplaçante ?

Pour le coup, l’hypothèse lui paraît si comique que, malgré ses soucis, il se met à rire.

— Avec ma dactylo ? Ma foi ! je n’y ai jamais pensé !

— Pourquoi ? Elle est vieille ?

— Oh ! non… Une vingtaine d’années, je suppose…

— Alors, elle est laide ?

— Je ne sais pas…

Il est sincère. En ce moment même, il fait un effort pour se remémorer l’aspect de cette personne. Mais il ne revoit que des mains prestes au-dessus d’un clavier, une nuque