Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

brune et penchée, un col blanc bien net… Elle a pourtant bien un visage, cette petite !

— Non, je ne crois pas qu’elle soit laide murmure-t-il, lentement, cherchant ce qu’il peut y avoir de frappant dans cette physionomie, Il ne voit rien et il conclut : Je ne l’ai jamais bien regardée… À côté de vous, Gisèle, elle est tellement insignifiante !

Gisèle a un sourire satisfait. Elle ne se lasse jamais des hommages rendus à sa beauté. Cela la remet de bonne humeur, et elle morigène tendrement son fiancé :

— Tu t’acharnes à te tourmenter inutilement… chuchote-t-elle, tout contre lui. Tu n’es qu un grand enfant déraisonnable…

Il tressaille. Ce tutoiement inusité, c’est une intimité nouvelle entre eux, une caresse de la voix… Bouleversé, il la serre dans ses bras, balbutiant d’émotion :

— C’est vrai… Pardonne-moi, chérie… Je ne le ferai plus !

Minute exquise, qui fait oublier tous les moments de doute et de tristesse. Le joli visage se lève vers lui, la bouche s’ouvre comme une fleur… Mais… que dit-elle ?

— Tes soupçons sont blessants et ridicules. Je t’aime, tu le sais bien…

Horreur ! elle lui récite son rôle, consciencieusement, en tenant compte des indications du professeur, en appuyant sur les adjectifs, et en traînant sur : « je t’aime… », virgule… Peut-être le fait-elle sans le vouloir, imprégnée de la personnalité factice qu’elle est en train de se fabriquer… Mais, pour Yves, le charme est rompu. Jamais plus il ne pourra croire à la sincérité intégrale de Gisèle. Dans ses mots les plus doux, dans ses intonations les plus affectueuses, il croira trouver le reflet de son métier, la science de feindre, apprise au Cours Christophe. Le cœur lourd, il a l’impression irritante et désolante qu’il ne sera jamais vraiment seul avec elle…


III

— Le rapport T.14, monsieur Lebonnier, en trois exemplaires, comme d’habitude ?

— Oui, mademoiselle… C’est pressé !

À peine Yves a-t-il prononcé ces mots, d’un ton un peu sec, qu’il se les reproche. Pas besoin de stimuler le zèle de sa dactylo ! Elle ne perd jamais une minute. Active, ponctuelle, ordonnée, elle est vraiment l’employée modèle, et Yves est bien obligé de reconnaître qu’au point de vue du travail, elle est très supérieure à Gisèle. Celle-ci, évidemment, s’acquittait de sa besogne comme d’une corvée fasti-