Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/15

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— Ah !… elle s’appelle Annie ? demande Yves.

Il n’a même pas encore eu la curiosité de son prénom ; jusqu’ici, elle était seulement pour lui « Mlle Vilard ».

Maurice éclate de rire.

— Tu ne le savais pas ? Écoute, mon vieux, descends un peu de tes nuages !

— Bah ! dit Albert, il n’y a que la belle Gisèle qui l’intéresse ! La pauvre petite Annie peut bien travailler comme un ange et se consumer d’amour pour lui, il ne s’en aperçoit pas !

Yves sursaute.

— Qu’est-ce que tu dis ? Annie… enfin, Mlle Vilard, est…

— Amoureuse de toi ? Mais bien sûr, voyons, ça crève les yeux ! Rien qu’à la façon dont elle te regarde, dont elle parle de toi… Et crois-tu qu’elle resterait si facilement après l’heure, sans récriminer et sans être payée, si elle n’était pas heureuse de se dévouer pour toi ?

— Elle y a d’autant plus de mérite, ajoute Albert, qu’elle a un autre genre de travail à faire en rentrant chez elle. Elle vit seule avec sa mère, veuve et très malade, et elle n’a que sa paye… Alors, le ménage, la cuisine, les soins, les soucis du budget… Oh ! c’est une jeune fille très méritante !

Yves ne répond pas et baisse la tête, bourrelé de remords. Ce manque de coquetterie qu’il reprochait à sa secrétaire, c’est la marque d’une nature d’élite, capable des plus beaux sacrifices. Bien sûr, Annie, comme les autres, aimerait porter des robes pimpantes, des bas nylon, et aller souvent chez le coiffeur. Mais il y a la maman malade, dont le traitement doit peser lourd sur le budget si réduit… Bien sûr, Annie, comme les autres, aimerait aller au théâtre, au cinéma, au bal… Mais ses distractions, à elle, consistent à entretenir un petit logement, à repriser, à laver, à repasser, à s’occuper d’une malade peut-être exigeante, avec, probablement, une douceur et une patience infinies… Comment peut-elle avoir le courage, par-dessus le marché, d’être si exacte et si consciencieuse au bureau, sans un mouvement d’humeur, toujours avec un petit sourire vaillant qui dissimule sa fatigue et ses soucis ? Mais c’est une sainte, cette petite !… Yves se reproche d’avoir été parfois trop brusque avec elle, d’avoir abusé de sa bonne volonté et de son dévouement. Il se sent plein d’admiration et de respect pour cette jeune fille, à la fois si menue et si forte. Et dire qu’il la jugeait insignifiante ! Comme les apparences sont trompeuses !

Le lendemain, comme elle lui remet une circulaire, il lui dit :

— Merci, mademoiselle Annie…