Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assise sur un banc se leva et se précipita vers lui ; avec des gestes maternels, elle ramassa le petit bonhomme, essuya avec son mouchoir les grosses larmes de son visage, puis ses mains et ses genoux maculés de terre ; enfin, elle le remit à la mère qui arrivait tout affolée, et retourna s’asseoir sur son banc. Yves, à quelques pas de là avait suivi cette robe bleu marine et le col blanc de sa secrétaire…

Elle ne l’avait pas vu. Il marcha jusqu’au banc et s’assit près d elle qui avait repris un ouvrage de tricot.

— Bonsoir, mademoiselle Annie ! C’est comme ça que vous faites des sauvetages, que vous jouez à la petite maman ?

Elle sursauta et, d’émotion, manqua une maille de son tricot.

— Oh ! monsieur Lebonnier… Ne vous moquez pas de moi… J’aime tant les enfants !

Elle prononçait ces mots avec ferveur, en regardant un bébé magnifique, installé comme un roi dans sa voiture, que poussait une nurse.

— Vous voyez, dit-elle avec un sourire un peu triste, en désignant le lainage blanc entre ses mains. Je fais des brassières pour le bébé d’une voisine, une pauvre femme… En ce moment, j’ai plus de temps à moi…

Elle soupira, Yves savait que l état de Mme Vilard s’étant aggravé, celle-ci avait dû être hospitalisée. C’était, pour la jeune fille, un surcroît de tristesse, mais, d’un autre côté, un allégement de ses besognes journalières.

— Je ne suis plus aussi pressée de rentrer dit-elle, depuis que personne ne m’attend. Alors je m’attarde un peu au parc, pour prendre l’air, avant de m’enfermer dans mon sixième…

Yves, à qui la solitude pesait particulièrement ce soir-là, était ravi de la rencontrer. Ils se mirent à discuter au sujet d’un roman américain qu’il avait récemment prêté à Annie ; il se rappelait qu’il avait autrefois prêté ce même livre à Gisèle, qui avait résumé son impression par un seul mot « Formidable !… » Annie, elle, ne se laissait pas guider par le snobisme ; elle savait apprécier les qualités de l’œuvre, mais aussi ses faiblesses, et Yves fut étonné par la finesse pénétrante de son analyse.

Tout à coup, il s’immobilisa au milieu d’une phrase, la bouche ouverte. Dans l’allée, devant eux, cette silhouette élégante, cette jolie tête dorée… mais oui, c’était Gisèle !

Annie avait suivi le regard du jeune homme ; sans qu’il le lui dise, elle comprit tout de suite qui était cette belle promeneuse… Son cœur se serra, mais elle ne fut pas étonnée d’entendre Yves murmurer, embarrassé :

— Excusez-moi… Je… j’avais rendez-vous avec cette